Avec Acteurs non professionnels recrutés sur place, parmi la population à Belle-Île-en-Mer.
Scénariste : Jean Epstein
Technique : Prise de vue réelle
Evénement : Travelling 2015, Travelling 2015
Sur la côte bretonne, dans une chaumière, une jeune fille est dans l'angoisse en entendant le vent. Son fiancé n'est-il pas au large, pour la pêche à la sardine ?
Devant l'inquiétude croissante de la jeune fille, sa grand-mère lui conseille d'aller voir « le tempestaire », une sorte de vieux sorcier qui a le pouvoir de calmer les éléments. L'homme, Le père Floch, refuse car il ne veut pas d'histoire. Il finit toutefois par sortir une boule de cristal et calme la tempête. La bourrasque se calme, le fiancé rentre au port.
La grand mère et la jeune fille sont du côté des vieilles croyances : "La porte s'est ouverte toute seule, c'est mauvais signe", et croient aux tempestaires : "des guérisseurs de vents, des vieux qui savaient commander la tempête et se faire obéir d'elle".
Les gardiens du phare sont plus modernes : "Il y a la radio; ça ne calme pas la tempête mais ça aide le marin".
Ralentis, accélérés et défilements arrières, la mer semble se calmer. Quand le fiancé arrive, la boule se brise. (crac.languedocroussillon.fr)
Critique : Le Tempestaire, un titre mystérieux tenant en un seul nom qui appartient aux légendes bretonnes. Pour ses lecteurs, Le Peuple s'essaie à en donner une définition : « Le Tempestaire c'est le vieux sorcier qui a le pouvoir magique d'apaiser les vents et à qui vient faire appel pour sauver l'absent, la fiancée angoissée par la tempête qui fait rage ». Ce court métrage, tourné à Belle-Ile-en-Mer au plein cœur de l'hiver 1946-1947, est le septième film breton de Jean Epstein.
Avec Le Tempestaire, présenté au festival de Bruxelles, l'art de Jean Epstein atteint son paroxysme. « Avant garde pas morte... » titre Le Figaro, ce « bel essai poétique » (Europe) est « le grand succès de la semaine » (Climats), « un film qui fera honneur au cinéma français » (Opéra) et annonce le grand « retour de Jean Epstein » (France d'abord). Pour la revue marseillaise V, Charles Ford avoue prendre « un véritable bain régénérateur » : « Il ne s'agit que d'un film, dit de complément, mais c'est une œuvre de première grandeur. Petit film par ses dimensions, Le Tempestaire est un grand film par son ambition et par sa réussite », ajoute le journaliste.
L'esthétique est particulièrement soignée. Plus qu'un film sur la Bretagne, Le Tempestaire se veut « un film océanique » titre Franc-tireur : « Malgré sa santé chancelante, les difficultés de l'entreprise et les mille embûches d'une technique de plus en plus évoluée, Jean Epstein est parti pour Belle-Isle-en-Mer, a choisi sur place ses interprètes, les a familiarisés avec la caméra, et, pour mettre dans l'ambiance son principal acteur : l'Océan, il a sifflé les vents. Et la légende s'est répétée ; dès les premiers jours l'ouragan s'est déchaîné, permettant de tourner les scènes capitales, et d'enregistrer le vrai bruit de la mer », écrit Jean Néry. « Essai de cinéma abstrait où l'histoire ne tiendrait que peu de place et où les hommes seraient de simples comparses », prévient Le Figaro ; « dans ce poème de la mer, la légende et la vérité s'entrelacent, sans qu'il soit raisonnablement possible de discerner où et comment s'arrête la fiction », conclue Georges Terrane de France d'abord.
Les prouesses techniques de Jean Epstein comblent la presse. « Ne reniant aucune de ses idées, il s'est efforcé de prouver, par l'exemple, l'excellence de ses théories, et c'est peu dire qu'il a magnifiquement réussi », écrit Pierre Chartier qui poursuit, toujours dans La France-libre : « Remontant aux sources du cinématographe, l'éminent cinéaste nous offre une œuvre dont on peut dire qu'elle est du cinéma pur, en ce sens que l'effet recherché est obtenu uniquement par le mouvement (combinaison intime du montage et la prise de vues, du son) ».
Vingt-cinq ans après ses premiers tours de manivelle, ce court métrage semble être la pierre angulaire du grand expérimentateur du 7ème art. « Magnifique imagier » (Jean Laury, Une semaine à Paris), Jean Epstein signe ici « une série d'images mouvantes et sonores sur ce simple sujet : tempête d'hiver sur les côtes bretonnes. Et c'est un chef d'œuvre » jubile Le Cousin Pons pour Climats. « Vous imaginez aussitôt les images que ce grand du muet a su, à nouveau, tirer de la mer en mouvement. Mais le plus intéressant c'est le son », note Point de vue.
« Le grand bouleversement du cinéma, c'est l'apport des bruits et leurs déformations possibles par les procédés mécaniques d'enregistrement. Ils peuvent être ralentis ou accélérés ou encore passés à l'envers, sans que le rythme de l'image soit changé ou au contraire en concordance avec ce rythme », écrit René Clément dans L'Age nouveau. Longuement attaquées dans L'Or des mers, les expériences sonores d'Epstein subjuguent désormais la critique. L'appareil ralentisseur, conçu par l'ingénieur Léon Vareille, est ainsi un élément essentiel dans son succès critique. « Pour Epstein, en effet, la mer n'est pas seulement cinématographique pour l'œil, mais aussi pour l'oreille (...). Dans le Tempestaire, le grincement d'une porte poussée par le vent, ralenti, provoque un tel frisson de crainte que l'on comprend la femme du pêcheur qui l'interprète comme un signe funeste ; tout le film a pour fond sonore, le grave et sourd grondement de l'Océan, dont l'amplitude croît et décroît, les harmonies s'interpénètrent comme les formes de la masse liquide naissent les unes des autres... », peut-on lire sous la plume de P. Laubriet de la revue Mer et Outre-mer. Pour Ambiance, Jean Epstein explique : « Chaque fois que le son se ralenti une fois, il s'aggrave d'une octave. Il est possible de l'analyser, de la développer jusqu'à la limite de l'infra-son (...). En mixant les différents ralentis, on crée des accords harmonieux de bruits jamais entendus (...) ceci ouvre la voie à un nouvel esprit de travail quant au film sonore. Nous allons maintenant entendre l'herbe pousser ».
« Qu'on ne nous parle pas de retour au muet. Le Tempestaire vient d'être également projeté au cours d'Histoire du cinématographe à la Sorbonne, à la suite de nombreux classiques du cinéma français ; il est apparu comme un film jeune et plein d'innovations », applaudit Gilbert Caillet dans Opéra.
(cinémathèque française)