LE FILM EST DéJA COMMENCé ? est la première tentative de brisure du cadre normal de la représentation cinématographique. Cette séance de cinéma s'attache aux différents termes du spectacle filmique: son, image, écran, salle et les bouleverse séparément. Elle les réintègre ensuite dans un combiné théâtral complexe qui comprend : 1 – Une image au montage accéléré en diachronisme avec le son. Cette image elle-même ciselée, c'est-à-dire qu'on a dessinée sur les vues des motifs abstraits, symboliques ou anecdotiques qui ajoutent au sens de celle-ci. 2 – Un son conçu comme un «en-soi» indépendant, qui comprend: (a) une réflexion esthétique et économique sur l'art du film ; (b) une description d'une séance de cinéma imaginaire, dont la forme s'inspire des découvertes romanesques de Joyce ; (c) une introduction a priori des critiques diverses que l'on pourrait faire au film, venant de divers horizons esthétiques ou politiques. Le tout est mixé sur une musique nouvelle: le lettrisme. 3 – Une élévation de l'écran du poste de machiniste au rang de vedette, c'est-à-dire l'introduction d'un écran esthétique nouveau (non pas un écran mécanique perfectionné, comme l'écran donnant le relief à l'image) qui jouera le rôle primordial dans le nouveau combiné cinématographique. 4 – L'introduction dans la salle d'acteurs avec une mise en scène les mouvant dans le cadre de la représentation elle-même et en rapport avec le film.
Critique : LE MAITRE MOT Maurice Lemaître, ce nom vous dit quelque chose. Il sonne comme celui d'un cinéaste pionnier, mais vous ne parvenez pas à en faire naître des images. Pourtant, il mit le Festival de Cannes sans dessus-dessous en 1951, ce qui lui fit accéder au rang de cinéaste banni du système, ironiquement après qu'il s'en soit écarté lui-même. Aujourd'hui, le Festival Côté Court de Pantin lui rend hommage en sa présence, projetant l'incendiaire Le Film est déjà commencé ?, ainsi que plusieurs de ses court-métrages. S'inscrivant dans le mouvement lettriste, Lemaître manie aussi bien l'image que le mot, et les met en relation dans d'étranges combinaisons. Dans Le film est déjà commencé ?, une voix-off nous conte une séance de cinéma particulière, sabotée par le dit-Lemaître aussi bien sur l'écran que dans la salle : alors que le narrateur explique au spectateur que les spectateurs dans le film sont aspergés d'eau glacée, et que les images sont celles d'un paysan, les spectateurs dans la salle sont eux-mêmes pris à partie, et la séance est interrompue par la police, aussi bien sur l'écran que dans la salle. Lemaître est le dernier à quitter le navire. Car chacun de ses films n'existe que pour et par le spectateur. La place passive qui nous est impartie en général fait place à un rôle actif qui remet en cause le bon déroulement de la séance et qui fait de chaque projection un instant unique et non reproductible. La passivité devant un film de Lemaître n'a pas lieu d'être, spécialement lorsque la projection a lieu en public, dans une salle de cinéma pleine. D'abord, le spectateur est interpellé : « vous n'avez pas honte ? », les cartons habituellement réservés aux dialogues sont des adresses au voyeur que nous sommes, interrogé sur la fascination que produit l'image, alors que Lemaître se désigne lui-même en tant que créateur ou imposteur (jugeant que son cinéma n'a « aucun intérêt »).Objectif Cinéma/Cécile GIRAUD