Peu après le 11 septembre 2001, des chats jaunes au graphisme épuré et au large sourire apparaissent dans Paris. Intrigué, le cinéaste construit son film en partant à la recherche des chats perchés sur les murs, alors que le contexte politique et international se durcit. Espiègle et plein de sagesse, Chris Marker questionne le monde en observant ces félins bienveillants signés Monsieur Chat.
Critique : Dans sa dernière réalisation, Chats perchés, balade poético-politique sur les traces de Monsieur Chat, l'un des personnages les plus repérables de la vague post-graffiti qui marque les murs de nos villes, Marker exerce son talent premier, celui de «regardeur infini», comme disait Hugo. Ses films des années 60 l'avaient marqué «militant» ou «engagé», euphémismes pour ne pas dire gauchiste. Dans les années 90, sa vision subjective d'un futur brouillant couches de réel et de virtuel (Level 5) l'a fait basculer côté nouveaux médias, d'autant qu'il osait dire tout le bien qu'il pensait du multimédia.En 2004, ce témoin de l'histoire dédie Chats perchés à «cette culture de la rue, de l'instant, du non-sacralisé qui est en train de naître en dépit de tout». Sur fond d'atmosphère grisouille post-11 septembre, le voilà parti humer l'air parisien, repérant à sa manière fine les petits trucs qui font que les temps changent. Ça commence gentiment par l'annonce de la première Flashmob parisienne, la «Pot-Pidou», réunion sans but sur le principe des «foules intelligentes» (smart mobs), individus ici chargés d'ouvrir et fermer leur parapluie en tournant autour du pot doré du parvis de Beaubourg. Il est sans doute temps de préciser l'âge du capitaine : 83 ans. L'âge de tourner caméra DV au poing un cinéma-direct qui caresse les visages, s'arrête parfois sur un dos, un sourire, un reflet dans le ciel... L'âge de juxtaposer les techniques archaïques (le banc-titre du cinéma muet) et les bidouilles informatiques (les séquences intitulées «Morpheye», respirations à la palette graphique où il s'amuse, et nous avec, à déformer les «grands» de ce monde). L'âge de passer le relais aussi, en annonçant l'avènement d'une nouvelle génération d'artistes, aussi iconoclastes que les ciné-tracteurs d'hier : les artistes urbains, poursuivis par les brigades antigraffitis et encore ignorés par l'élite culturelle... Chris Marker a choisi de faire de l'un d'eux, Monsieur Chat, chimère composite de Félix the Cat, du chat de Lewis Carroll et des figures de mangas, le héros d'un conte des temps modernes dont la rue serait le théâtre.Annick Rivoirehttp://www.liberation.fr/cahier-special/2004/12/04/chris-marker-passe-le-temoin_501763